Souvenirs souvent anecdotiques de la scène jazz.
Louis Armstrong
Juillet 1967, Louis Armstrong est au programme de Jazz à Juan (Festival de Jazz d’Antibes Juan les Pins) ; à 61 ans ce sera sa dernière apparition sur cette scène, il devait décéder 4 ans plus tard.
Un après-midi, alors que je me promenais dans le square Gould je suis tombé sur ses musiciens qui procédaient aux balances en vue du concert du soir. Armstrong n’était pas là. J’ai décidé de m’installer sur un siège afin d’assister à ces balances.
Quelques temps après j’ai vu arriver Sacha Distel, qui est monté sur scène, a échangé avec les musiciens et même joué de la guitare sur deux morceaux avec eux. J’étais surpris de le voir s’immiscer dans cet ensemble. Renseignement pris auprès d’un technicien j’ai appris que Sacha Distel allait venir le soir du concert partager quelques notes avec Armstrong et son ensemble.
Je ne comprenais pas car pour moi Sacha Distel c’était « Scoubidou », un chanteur de variétés populaires. J’étais même choqué que l’on puisse mélanger ces deux personnalités sur une même scène : d’un côté l’immense star internationale du jazz qu’était Louis Armstrong et de l’autre un chanteur de fantaisie française.
Ma jeunesse d’alors explique bien des choses ; et l’ignorance aussi. Je ne m’intéressais alors qu’aux géants du jazz américains. Je ne savais pas que Sacha Distel était considéré comme un bon guitariste de jazz et qu’il se produisait régulièrement dans les lieux parisiens dévolus à cette musique tel que le Petit Journal.
Surtout, je n’avais pas encore perçu combien les musiciens de jazz dans leur majorité sont ouverts et modestes et toujours heureux de partager une scène même avec des instrumentistes ou vocalistes qui ne sont pas de leur catégorie, qu’il s’agisse du type de musique ou de leur niveau.
Dans le même ordre, après le concert, j’ai vu Armstrong s’engouffrer à l’arrière d’une voiture afin de gagner son hôtel, le « mythique » Le Provençal, cinquante mètres plus loin. Je me serais attendu à ce que ce véhicule soit une Cadillac ou bien une Rolls compte tenu de la classe du personnage, non, ce fut une Simca 1000 blanche.
D.A.
Jimmy Johnson
Jimmy Johnson est un bluesman qui a émergé sur la scène de Chicago au milieu des années 70. Il doit notamment sa notoriété à Jacques et Marcelle Morgantini qui l’ont découvert et enregistré dans les clubs de Chicago dans les conditions du live. Ces enregistrements, les premiers de sa carrière, ont permis à ce bluesman inconnu alors d’avoir accès à un large public international.
Quarante ans plus tard, j’ai eu la chance avec quelques amis de vivre un moment magique en rencontrant Jimmy Johnson, par pur hasard, dans le club le "blues" de Chicago.
Je me suis alors présenté comme l'ami de Jacques Morgantini et immédiatement le visage de Jimmy s’est éclairé et cela a évoqué pour lui des souvenirs précieux. Les discussions qui ont suivi ont porté sur le passé, les souvenirs de cette époque et l'évolution de la musique blues. Une fois sur scène, Jimmy Johnson lui a rendu hommage en jouant des morceaux qu’il avait enregistrés avec lui quarante ans auparavant.
Ces moments où le passé et le présent se rejoignent, où les histoires se connectent à travers la musique, sont ce qui la rend si puissante et intemporelle. Cette anecdote est un témoignage de la manière dont la musique peut relier les individus au-delà du temps et de l'espace, créant ainsi entre les êtres des souvenirs et des liens indéfectibles.
R.C.
Miles Davis
Festival Newport à Paris, novembre 73
Ma présence lors du passage de Miles Davis dans ce festival a été pour moi l’une des expériences jazzistiques parmi les plus excitantes, en dehors de l’effet de la musique produite.
J’étais dans une période où je faisais de la photo en pur amateur et pour le festival j’avais apporté mon FTB Canon, un honnête appareil sans plus. Je l’avais doté d’un petit téléobjectif 135, rien de spectaculaire, surtout comparé aux extravagants téléobjectifs que les pros utilisent lors des concerts ou autres manifestations.
Je m’étais approché de la scène, tout prêt, sur le côté droit lorsqu’on lui fait face et j’ai entrepris de canarder Miles Davis dans son concert. J’étais donc un petit jeune avec du matériel clairement amateur et pourtant Miles s’est mis à jouer avec moi alors que je prenais clichés sur clichés. Il m’a repéré alors qu’il était au milieu de ses musiciens, s’est dirigé vers moi et s’est comporté d’une manière je pense inhabituelle venant de lui, souriant, rigolant presque tout en me regardant. Ce petit manège a duré un long moment.
Sur le coup, je me suis dit « quel cabot ce Miles Davis ! » car j’ai pensé naïvement qu’il croyait avoir à faire un à véritable photographe. Mais il était trop malin pour cela, et il n’aurait pas manifesté un comportement aussi sympathique avec un photographe pro. Mon sentiment est que cela l’a intéressé de voir un jeune fan s’approcher autant de la scène et il s’en est amusé. Il m’en reste de nombreuses photos -en argentique, malheureusement pour la qualité.
D.A.
L’évocation du jour est consacrée au Festival Newport in Paris, novembre 1973.
Dans ce premier numéro il est question des prestations de Roland Kirk et de BB King ; Miles Davis, Duke Ellington et Sarah Vaughan suivront prochainement.
Toutes photos prises lors du festival)
Roland Kirk, multi-instrumentiste capable de jouer de plusieurs instruments simultanément (dans un même concert il pouvait utiliser plus de quarante instruments et accessoires -sirènes, sifflets, etc) n’est pas considéré comme un phénomène de cirque, mais bien comme un musicien excellent et un créateur inspiré. Son instrument principal est le saxo ténor et il jouait parfois de trois saxos ou assimilés en même temps. On lui reconnait un rôle dans l’évolution du jazz vers le jazz-rock.
Lors de ce festival, il a produit une musique tout simplement efficace et belle.
Photo 1 : Roland Kirk jouant de la flute par le nez tout en chantant.
Photo 2 : Roland Kirk avec un bazar d’instruments autour du cou et devant lui sur la table.
BB King.
J’ai eu la chance d’assister à plusieurs concerts de BB King à l’occasion de divers festivals. J’ai noté qu’il reproduisait toujours les mêmes facécies, gestes et grimaces afin d’illustrer le texte de ses blues. Dans la photo ci-dessous il fait toujours le même geste des deux doigts pour accompagner le texte « …and the postman he'd better ring more than twice ». BB King ignorait-il que ce geste est injurieux en Angleterre (une sorte de doigt d’honneur) ? mais nous étions à Paris (où l’on n’a jamais de geste déplacé).
Photo 3 : BB King avec la légende « The postman he'd better ring more than twice”
D.A.